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La société pardonne souvent au criminel, jamais elle ne pardonne au rêveur (O. Wilde)

RuneQuest : le survivant

Par Arasmo

Rubrique : Portraits de Famille
Date : 16 novembre 2015

Avec D&D, Tunnels & Trolls, et Traveller, RuneQuest fait partie du cercle restreint des Grands Anciens, ces jeux des années soixante-dix qui sont encore soutenus commercialement. Des quatre, il est peut-être celui dont l'histoire éditoriale fut la plus mouvementée  : il passa aux mains de quatre entreprises, connut une longue éclipse après des débuts brillants, plusieurs éditions furent tuées dans l’œuf ou arrêtées prématurément...

Découvrez avec moi cette histoire aussi complexe que fascinante, emplies d'heureuses coïncidences, d'éclairs de génie, et d'erreurs tragiques !


image de canard

RuneQuest, c'est le jeu avec les canards ?

Oui, les canards sont présents dès la 1ère édition ! Dans le monde de Glorantha, l'univers emblématique de RuneQuest, ces humanoïdes auraient été maudits par les dieux pour ne pas avoir cherché à combattre le Chaos, et nul ne sait s'ils étaient à l'origine des canards ou des êtres humains. Ils font partie des nombreuses touches d'humour qui émaillaient RuneQuest et Glorantha à leurs débuts, et qui s'estompèrent par la suite.


Auspices favorables

White Bear and Red Moon

L’origine de RuneQuest est indissociable du nom de Greg Stafford. A 12 ans, le jeune californien découvrit les joies du wargame en dénichant un exemplaire du jeu U-Boat d’Avalon Hill dans... une quincaillerie ! Mais ce n’était pas là son seul loisir ; la mythologie le fascinait à tel point que dès l’âge de 16 ans, il avait déjà lu toute la littérature disponible sur le sujet dans les bibliothèques locales. En 1966, il commença donc à imaginer ses propres mythes dans un monde fictif, Glorantha... Tout naturellement, il décida de combiner ses deux passions en créant un wargame se déroulant dans Glorantha : White Bear and Red Moon. Hélas, le jeu semblait maudit, car chaque éditeur à qui il vendit le jeu mit la clé sous la porte ou laissa traîner le projet indéfiniment. Greg Stafford devait-il renoncer à son rêve ?

 

Une partie de tarot divinatoire lui suggéra une alternative : pourquoi ne pas fonder sa propre compagnie ? Après tout, les présages étaient bons… Ainsi naquit Chaosium.

White Bear and Red Moon fut enfin publié en 1975 ; son succès fut suffisant pour engendrer une suite, Nomads Gods (1977), ainsi qu’un magazine, Wyrms Footnotes (1977), comportant aussi bien des variantes de règles que des précisions sur Glorantha.

Mais Greg Stafford voulait inciter les joueurs à découvrir son univers d’une manière plus intimiste, plus viscérale : le jeu de rôle ! Il était déjà familier du principe, car dès 1974, il s’était retrouvé en possession de ce qui fut peut-être le premier exemplaire vendu du Donjons & Dragons originel. En effet, un de ses amis avait rencontré Gary Gygax alors que celui récupérait auprès de l’imprimeur la toute première impression de D&D ; sachant que Greg travaillait sur son propre jeu de fantasy, il s’est empressé d’acheter un exemplaire...

Toutefois, il ne se chargea pas lui-même de l’adaptation en JDR. Une première équipe s’attela à la tâche, en prenant pour base les règles de D&D et de White Bear and Red Moon. Le travail accompli ne convainquit pas Stafford. Heureusement, Steve Perrin, un joueur influent de la scène californienne, joignit l’équipe en 76, et prit en charge le projet. Son arrivée marqua un tournant, aussi bien dans la composition de l’équipe - Ray Turner fut bientôt le seul membre restant de l’équipe originelle - que dans les règles du jeu, désormais de plus en plus éloignées de D&D. Ce fut aussi lui qui donna le nom final du jeu, en référence aux runes qui étaient à la base de la mythologie de Glorantha : RuneQuest.

Débuts fracassants

RuneQuest 1ère édition

Lorsque RuneQuest parut en 1978, il était à bien des égards un «anti-D&D».

 

Tout d’abord, le jeu affichait une volonté de réalisme qui était absente de D&D. A la manière de Traveller (1977), RuneQuest proposait un système de compétences pour modéliser les savoir-faire des aventuriers, mais allait plus loin encore sur deux points : les personnages n’étaient pas limités aux compétences de leur spécialisation ou carrière initiale, et ces compétences pouvaient progresser au fil des aventures. Grâce à ce système, le Maître de Jeu disposait d’un cadre cohérent pour gérer les actions non liées au combat. Ce souci de réalisme se retrouvait dans les règles de combat : localisation des dégâts, points de vie limités, etc.

Ensuite, alors que le D&D de l'époque n'était pas lié explicitement à un univers, RuneQuest, à la manière de Empire of the Petal Throne (1976), s’adossait à un monde fouillé. Relativisons un peu toutefois : les informations du livre de base sur Glorantha se résumaient à une chronologie, à la présentation de trois cultes, aux descriptions de monstres, et à une carte de la région de Prax. L'essentiel du contexte était décrit dans les jeux de plateau et la revue Wyrms Footnotes.

Enfin, RuneQuest était certainement le premier jeu à donner autant d’importance à l’aspect religieux. Ainsi, les personnages étaient censés joindre un Culte Runique et progresser dans la hiérarchie jusqu’à être capable de développer des affinités avec les Runes, les forces cosmiques qui régissent l’univers de Glorantha. Et le format de description des cultes donnés en exemple allait bien au-delà des maigres informations de D&D : mythologie, associations runiques, objectifs du culte, organisation, statut social et politique, cultes rivaux et alliés, conditions d’adhésion et de progression...

Si les premiers suppléments du jeu, comme Apple Lane ou Balastor’s Barracks, lorgnaient du côté des modules TSR, Cults of Prax offrit quelque chose d’inédit : la description minutieuse de 15 cultes situés dans la région de Prax. La profondeur du supplément était sans comparaison avec le Gods, Demi-gods & Heroes de TSR (1976), qui se résumait à une collection d'adversaires pour PJ de haut niveau.

Borderlands

Après la sortie de la deuxième édition du jeu, en 1979, débute ce que les grognards surnomment «l’âge d’or». Six suppléments mythiques donnèrent corps à Glorantha. Cults of Terror (1981) s’intéressait aux religions chaotiques, Griffin Mountain offrait un cadre de jeu «bac à sable» (1981), Pavis et Big Rubble décrivaient par le menu une ville et son complexe de ruines, Borderlands proposait une campagne en sept actes, alors que Trollpack offrait un luxe de détails inédit sur le peuple troll, allant jusqu’à fournir une planche anatomique !

 

Aidé par la qualité de son suivi, RuneQuest se hissa en deuxième place des ventes derrière D&D aux États-Unis, dépassant même le populaire Traveller. Il devint même le système maison de Chaosium, sous la forme du Basic Role-Playing (1980).

1984 fut l'année de la consécration. Chaosium vendit à Avalon Hill, le géant du wargame, les droits de publication de la troisième édition de RuneQuest. L’accord tombait à pic pour les deux parties, car Avalon Hill cherchait à étoffer sa gamme de jeux de rôle, alors que Chaosium faire progresser RuneQuest au niveau supérieur.

Les fonctions étaient clairement réparties : Chaosium se chargeait de la conception et de la maquette du jeu ; la production, la diffusion et la promotion  revenaient à Avalon Hill. L'un apportait son expertise dans le jeu de rôle, l'autre sa force de frappe financière et logistique. Le mariage parfait ?

La mariée était trop belle...

RuneQuest III

RuneQuest III fut une édition controversée, car non seulement elle se détachait de Glorantha, mais elle compliquait le jeu par l'ajout d'un nouveau système de magie, la sorcellerie, ou de règles susceptibles de ralentir les parties, comme celles sur la fatigue ou l'encombrement. Pourtant, elle introduisit une innovation majeure, qui fera partie de la « marque de fabrique » RuneQuest : les compétences de départ du personnage dépendaient à présent de sa culture d'origine. Par défaut, quatre types de cultures étaient distingués (primitive, nomade, barbare, civilisée), mais des catégorisations plus fines furent employés dans certains suppléments.

 

Hélas, après un lancement réussi, le plus gros succès pour Avalon Hill depuis le wargame culte Squad Leader (1977), les ventes ralentirent nettement, à cause de deux erreurs lourdes de conséquence.

Premièrement, le choix initial de proposer le jeu en boite rendit son coût prohibitif, et les tentatives pour rectifier le tir ne furent pas concluantes, car elles consistaient à vendre des versions tronquées : le duo Player's Box et Gamemaster's Box (1984), puis la version dite Standard. De plus, cette dernière version entraîna de nouvelles complications : pour que ses acheteurs puissent profiter des suppléments de la gamme, il fallait ajouter aux suppléments des règles de la version complète ! Ce ne fut qu'en 1993, neuf ans après la sortie de la 3ème édition, qu'Avalon Hill se décida enfin à publier le jeu complet en livre broché.

Deuxièmement, le suivi de la gamme s'avéra aussi lent qu'inconsistant. Les trois premières années, Chaosium et Avalon Hill privilégièrent les suppléments génériques ou historico-fantastiques, parfois de grande qualité comme Vikings (1985). Symbole de cette politique : la transformation du mythique supplément Griffin Mountain en Griffin Island (1986) dénué de références gloranthiennes. Pendant cette période, les glorantophiles durent se contenter du seul Gods of Glorantha (1985). Toutefois, comme les ventes ne décollaient pas, l'univers emblématique fut remis à l'honneur, en alternant entre adaptations d'anciens suppléments (Apple Lane, Trollpack) et grosses boites au contenu dense, comme Glorantha (1988) ou Elder Secrets (1989). Si ces gros suppléments avaient de quoi ravir les passionnés, ils rendaient aussi l’univers de plus en plus complexe à aborder. Ce problème était aggravé par l’absence de nouvelles aventures : après avoir joué à Apple Lane, il fallait soit créer ses propres aventures, soit tenter de mettre la main sur les vieilles boites de la deuxième édition.

Le divorce

Alors que Chaosium ne recevait plus qu'une fraction des recettes générées par le jeu, les ventes ne s'étaient guère améliorées depuis le début des années 1980. Et soutenir RuneQuest entravait le développement des autres gammes. Bientôt, la compagnie fut entraînée dans une spirale mortelle : moins de revenus, moins de gammes, réduction des effectifs, et donc moins de suppléments RuneQuest... En 1989, Chaosium jeta l'éponge ; au bord de la faillite, l'éditeur se recentra sur les gammes qu'il contrôlait.

 

Désormais, Avalon Hill devait faire cavalier seul. Hélas, la vieille gloire vivait, elle aussi, des temps difficiles : les wargames n'attiraient plus foule et sa gamme de jeux de rôle, après l'abandon de James Bond 007 en 1987, se réduisait à RuneQuest !

Les derniers suppléments gloranthiens avaient déjà pâti de ces difficultés ; afin de réduire les coûts, les illustrations étaient réalisées par des artistes de moindre stature, voire par le cartographe maison !

Privée de l'expertise glorantienne des auteurs de Chaosium, Avalon Hill renoua avec les suppléments génériques en publiant Eldarad (1990) et Daughters of Darkness (1990). Seul titre de gloire de ces suppléments médiocres : des exemplaires sont encore brûlés rituellement lors de conventions de fans de Glorantha ou de RuneQuest...

En 1991, pour la première fois depuis 11 ans, aucun supplément ne parut ; la fin semblait proche.

Alors, contre toute attente, Avalon Hill eut le flair d'embaucher Ken Rolston à la tête de la gamme. Fin connaisseur de RuneQuest et de Glorantha, celui-ci puisa largement dans le vivier d'auteurs de fanzines gloranthiens comme Tales of the Reaching Moon pour produire quatre excellents suppléments : Sun County (1992), Dorastor (1993), Strangers in Prax (1994) et Lords of Terror (1994). Hélas, cette renaissance tourna court dès 1994 ; Ken Rolston fut d'abord réduit au statut de pigiste, peut-être à cause de ventes décevantes, puis migra vers la terre promise du numérique. Pour la petite histoire, Rolston devint le « lead designer » du troisième volet des Elders Scrolls, une série de jeux informatiques très influencée par RuneQuest et Glorantha...

L'édition maudite 

Après ce coup dur, Avalon Hill comptait relancer la gamme à l'aide d'une nouvelle édition, confiée à Olivier Jovanocic. La première mouture, 100% gloranthienne, ne fut pas validée par Greg Stafford. La deuxième mouture, qui devait se baser sur l'univers des romans Lyonesse de Jack Vance, fut abandonnée brutalement en 1996, lorsque Olivier Jovanovic fut accusé de torture sexuelle à l'égard d'une jeune femme. Des années durant, l'affaire défraya la chronique ; Jovanovic ne fut innocenté qu'en 2001.

 

En 1997, un nouvel accord fut conclu avec Chaosium : Avalon Hill perdit les droits pour Glorantha, mais garda la marque RuneQuest. L'entreprise joua alors son va-tout. Une nouvelle équipe fut mise en place, une équipe qui n'aurait pas peur de bousculer les vaches sacrées. On choisit de faire table rase du passé, de peur que Chaosium sorte un quasi-RuneQuest adapté à Glorantha. Le système fut entièrement rebâti : mécanisme de résolution avec 2d10, remplacement des compétences par des «Professions» moins spécialisées, gestion abstraite de la richesse... Si le résultat n’avait plus grand chose à voir avec le RuneQuest originel, c’était aussi le seul des RuneQuest à vraiment mériter son nom, car les runes étaient mises au centre du jeu.

Ainsi, les joueurs incarnaient des guerriers appartenant à une organisation surnommée War Clan, qui pouvait aussi bien représenter un culte qu’une guilde ou une communauté plus vaste. La progression au sein du War Clan dépendait de l’intégration de glyphes et de runes. Les glyphes symbolisaient un type de comportement encouragé au sein du War Clan (Valeur, Vengeance, etc.) ; à chaque début de partie, un glyphe était assigné à un joueur, et celui-ci devait incarner son personnage en cohérence avec le glyphe en vue de l’obtenir. Grâce aux glyphes glanés, il pouvait ensuite apprendre des symboles runiques qui, une fois inscrits sur une arme par exemple, lui prodiguaient de nouveaux pouvoirs.

Hélas, là encore, les événements conspirèrent contre cette quatrième édition. Pour bien comprendre les faits, nous allons devoir entrer dans les coulisses du monde des affaires. Précisons d’abord qu’Avalon Hill était en réalité une marque gérée par Monarch Avalon Printing, qui elle-même était la division dédiée aux jeux de la compagnie Monarch Services. En 1998, Monarch Avalon était dans le rouge : le chiffre d’affaires généré par ses deux locomotives, les wargames informatiques et les jeux de plateau, avait sérieusement chuté. Pire encore : à la suite d’un procès perdu contre l’éditeur informatique Microprose, la division avait perdu les droits de deux jeux de plateaux vedettes, Civilization et 1830. Soucieuse de se débarrasser de ce qui était devenu un boulet, la maison-mère vendit la division à Hasbro. N'étant pas connu pour ses états d'âme, Hasbro s'empressa alors d'annuler RuneQuest : Slayers, tout juste parti à l’impression...


RuneSlayers

Après l'annulation de RuneQuest: Slayers, les auteurs du jeu diffusèrent gratuitement le jeu sur internet sous le titre RuneSlayers et produisirent même de nouvelles versions ainsi que des suppléments. Hélas, le site officiel du jeu n'est plus accessible et il faudra fouiner dans les recoins du web pour dénicher un PDF de RuneSlayers.


Une longue hibernation

N’éprouvant aucun intérêt pour RuneQuest, Hasbro laissa la marque à l'abandon, sans même prendre la peine de renouveler ses droits en 2003. Greg Stafford et Chaosium sautèrent sur l’occasion. Le premier récupéra la marque au profit de sa nouvelle société Issaries Inc., exclusivement dédiée à Glorantha, alors que le second réutilisa le texte de RuneQuest III pour sa gamme Basic Role-Playing, en profitant d’une clause de non-utilisation du contrat originel avec Avalon Hill. Toutefois, une nouvelle édition de RuneQuest n'était pas à l'ordre du jour.

En effet, Issaries Inc. se consacrait entièrement au successeur de RuneQuest, Herowars, renommé HeroQuest par la suite. Depuis des années, Greg Stafford cherchait un système capable de s’adapter facilement aux niveaux de puissance très différents qui coexistaient dans Glorantha, de l’humble paysan au quasi-dieu, et il avait trouvé la perle rare avec HeroQuest, réalisé par Robin D. Laws, un concepteur à la réputation montante qui était un grand fan de Glorantha. Dans une certaine mesure, HeroQuest peut se concevoir comme l’aboutissement de la philosophie ludique amorcée par Greg Stafford lui-même avec Pendragon et surtout Prince Valiant : toute prétention de simulation était abandonnée au profit de règles très abstraites et favorisant une narration fluide. Toutefois, le jeu ne connut jamais plus qu’un succès d’estime, amenant Greg Stafford à reconsidérer sa stratégie. Maintenant qu’il détenait les droits de RuneQuest, de HeroQuest et de Glorantha, pourquoi ne pas vendre des licences à des compagnies aux reins plus solides qu’Issaries ? En 2005, il autorisa Moon Design Publications, formée de gloranthophiles convaincus, à continuer la publication du jeu HeroQuest, et confia à Mongoose la licence RuneQuest ainsi que les droits de développer une période inexplorée de Glorantha : le Deuxième Age.


Les deux périodes de jeu de Glorantha

Deuxième Age : des sorciers manipulateurs de mythes affrontent des mystiques alliés à des créatures draconiques. Période par défaut des éditions Mongoose.

Troisième Age : les adeptes d'un dieu trublion se rebellent contre un empire universaliste adorant une déesse qui bouleverse l'ordre cosmique. Période par défaut des autres éditions.


L'ère de la Mangouste

Mongoose était une des innombrables compagnies nées au début des années 2000 à la suite de la diffusion par Wizards of the Coast de l’Open Gaming Licence et de la d20 Trademark Licence. Grâce au succès de ses gammes Slayer’s Guide et Quintessential, approfondissant des monstres ou des classes, Mongoose put se diversifier et produire des jeux d20 complets reposant sur des licences reconnues, comme Judge Dredd, Conan ou Babylon 5. Avec l’épuisement du filon d20, Mongoose cherchait de nouveaux relais de croissance : RuneQuest arrivait à point nommé.

 

La gestation du jeu suscita beaucoup de controverses. Dès l’obtention de la licence et pendant quelques semaines, Mongoose s’attela fiévreusement à la rédaction du jeu, diffusant de nouvelles versions de tests à un groupe Yahoo créé pour l’occasion. Le groupe compta jusqu’à une vingtaine de participants, dont un certain Steve Perrin... Celui-ci s’impliqua de plus en plus dans la nouvelle édition, Mongoose allant même jusqu’à indiquer qu’il serait un des contributeurs de la gamme. Puis, du jour au lendemain, Mongoose coupa court à l’expérience.

A la sortie du jeu, intitulé tout simplement RuneQuest, les vétérans manquèrent de défaillir : nulle mention des éditions précédente, ni même de Steve Perrin ! Pourtant, certaines de ses propositions, notamment concernant la magie runique, furent reprises verbatim...

Plus gênant, le jeu portait la marque d’un développement précipité, avec quelques règles bancales et des sorts propices aux abus des joueurs minimaxeurs. La magie fit aussi tiquer les amateurs de Glorantha : certes, on retrouvait la magie divine et la sorcellerie de RuneQuest III, mais la magie commune, rebaptisée magie runique, reposait désormais sur l’acquisition physique de runes. Problème : une telle magie n’était pas du tout adapté à Glorantha telle qu’elle avait été décrite jusqu’à présent...

Autre source de mécontentement, Mongoose découpa le jeu en trois ouvrages vendus à prix fort : le livre de base comportait seulement un système de magie et un bestiaire rachitique, Companion ajoutait les autres magies, et Monsters donnait accès à un bestiaire digne du nom. Cependant, il redressa la barre en 2008 avec une version Deluxe regroupant les trois ouvrages et rectifiant les règles les plus problématiques.

Malgré ses défauts de jeunesse, le RuneQuest de Mongoose était une modernisation bienvenue du vénérable système. Nombre d'éléments feraient partie intégrante des éditions ultérieures : nouveau système d'expérience, Points d’Héroïsme, suppression de l’antique Table de Résistance et des points de vie globaux, simplification du calcul des compétences de départ...

Malgré les réactions mitigées des vieux de la vieille, RuneQuest devint le jeu de rôle phare de l’éditeur. Et grâce au recrutement d’auteurs compétents et prolifiques, comme Laurence Whitaker, Gareth Hanrahan ou plus tard Pete Nash, le suivi fut aussi remarquable que pléthorique. Si l’attention des auteurs se portait surtout sur Glorantha, d’autres cadres de jeu furent développés, tels que Lankhmar ou le Multivers de Moorcock. En l’espace de trois ans, en comptant les gammes dérivées, une quarantaine de suppléments furent produits : plus que dans les vingt années précédentes !

Dans l’espoir de faire de RuneQuest le nouveau d20, Mongoose diffusa même le système sous licence OGL. Hélas, la licence ne séduisit pas les foules et fut abandonnée dès 2010. Elle permit tout de même la naissance d’OpenQuest, une variante simplifiée de RuneQuest qui en est aujourd’hui à sa deuxième édition.

RuneQuest II : fauché en plein vol

Début 2010, une nouvelle édition parut, conçue par Lawrence Whitaker et Pete Nash. En dehors de la consolidation de nombres règles, la principale innovation de RuneQuest II, surnommé aussi MRQII, venait d’un système de combat plus tactique. Selon sa réussite à un jet opposant la compétence de combat de son personnage à celle de l’adversaire, le joueur pouvait choisir des manœuvres lui procurant un avantage plus ou moins important.

 

L’accueil critique fut très positif, et Mongoose avait prévu un suivi conséquent : une dizaine de suppléments en quelques mois. Les conversions ou compilations d'ouvrages de la précédente édition côtoyaient les campagnes originales (Pavis Rises) ou de nouvelles sous-gammes, notamment Deus Vult, ouvertement inspiré d’Assassin’s Creed.

Or le flot de suppléments se tarit dès l'année suivante. Pourquoi un arrêt aussi brusque ? Revenons un peu en arrière. En 2008, l’éditeur s'allia au groupe Rebellion, un développeur de jeux vidéo britannique qui détenait aussi les droits sur les comics 2000AD (Slaine, Judge Dredd, etc.). Mauvaise pioche : la bureaucratie envahissante et l’obligation de rester cantonné aux JDR, qui rapportaient de moins en moins, amenèrent Mongoose à se séparer de Rebellion. Alors commença une phase d’extrême turbulence. Pendant des mois, la trésorerie de Mongoose fut bloquée à cause d’un imbroglio bancaire, entraînant le départ ou le licenciement de la majeure partie de l’effectif. Les deux auteurs les plus prolifiques de la gamme RuneQuest, Whitaker et Hanrahan, plièrent bagage, et Pete Nash suivit quelques mois plus tard. Conséquence : il n’y avait plus personne pour écrire des suppléments RuneQuest. Pour ne rien arranger, les ventes de la nouvelle édition étaient décevantes et bien en deçà de celles de Traveller, que Mongoose avait relancé en 2008.

C’est pourquoi Mongoose décida de mettre fin à son accord avec Issaries en 2011. Ayant conservé les droits sur les règles de RuneQuest II, il les réimprima pratiquement à l'identique sous la forme d'ouvrages vendus à un prix plancher et diffusés sous licence OGL : Legend.

Une fois encore, RuneQuest allait changer de main...

Retour aux sources

Par chance, un repreneur se manifesta presque immédiatement : The Design Mechanism, une compagnie tout juste fondée par Lawrence Whitaker et Pete Nash, les créateurs de RuneQuest II. The Design Mechanism fit coup double : elle obtint de Issaries la licence RuneQuest, et noua un partenariat avec Moon Design Publications pour produire à l'avenir des suppléments gloranthiens.

Trois décennies après la première édition, RuneQuest 6 (2012) perpétue une flamme qui avait vacillé à maintes reprises, sans jamais s'éteindre tout à fait. Loin des chamboulements des éditions précédentes, le jeu est dans la droite lignée de RuneQuest II : les imperfections du prédécesseur sont gommées, la création de personnage a été approfondie, deux nouveaux systèmes de magie sont ajoutés, et le contenu du livre de base est nettement plus copieux... En résumé, une consolidation plutôt qu’une révolution. A l’instar des versions Mongoose, le livre de base ne propose pas d’univers par défaut et se positionne comme une boite à outils dédiée à la fantasy ou à l’historico-fantastique. Toutefois, le riche héritage du jeu est ici pleinement assumé. Par exemple, la couverture met en scène une guerrière aux prises avec une créature reptilienne, de quoi émouvoir les possesseurs des éditions Chaosium, et la présence d’un récit continu illustrant les règles du jeu, la Saga d’Anathaym fait écho à la Saga de Rurik ou à la Saga de Cormack des versions des années 80.

Si le rythme de parution des suppléments est loin d’atteindre le rythme frénétique de la période Mongoose, la qualité et la variété sont au rendez-vous : Book of Quests propose sept scénarios pouvant former une campagne, Monster Island détaille une île dont l’ambiance évoque à la fois Jurassic Park, le Monde Perdu et l’île du Docteur Moreau, Shores of Korantia donne à voir un monde antico-fantastique n'ayant rien à envier à Glorantha, tandis que Mythic Britain décrit une Angleterre arthurienne proche des romans de Bernard Cornwell.

L'histoire est un éternel recommencement

Mais RuneQuest ne serait pas RuneQuest sans ses péripéties éditoriales... Au cours du printemps et de l'été 2015, les coups de théâtre se multiplient. En mai, Greg Stafford et Sandy Petersen retournent à Chaosium. Le 30 juillet, les fondateurs de Moon Design prennent la tête de Chaosium… et le 31, Lawrence Whitaker annonce que lui et Pete Nash seront aux commandes d'une nouvelle édition de RuneQuest 100 % Chaosium et Glorantha ! 31 ans après la cession des droits à Avalon Hill, RuneQuest revient au bercail : peut-on rêver de meilleur happy end ?


RuneQuest en Français

De 1987 à 1997, Oriflam traduisit la troisième édition de RuneQuest et la plupart des suppléments publiés par Avalon Hill. La gamme française bénéficiait d’une présentation nettement supérieure à la version originale, avec de superbes couvertures réalisées par Hubert de Lartigue et des illustrations intérieures réalisées par les talentueux artistes maison, comme Sorel ou Gassner.

En 2009, Mongoose créa une division Mongoose en Français, et publia notamment la traduction du jeu Elric de Melniboné, qui utilisait les règles de RuneQuest, puis de RuneQuest II (2010).

En 2012, Legend fut traduit sous le titre de Légende.

Enfin, quatre bénévoles traduisirent RuneQuest 6 pour The Design Mechanism en janvier 2015


Annexe 1 : Six suppléments emblématiques

1re édition

Apple Lane, 1978

Réalisé par Greg Stafford, ce supplément décrivait un petit village de Glorantha et contenait trois scénarios. Le premier était un rite initiatique qui servait d'introduction au jeu. Le deuxième mettait en scène l'attaque de l'échoppe d'un marchand par des babouins alliés un groupe de bandits comprenant un centaure, des créatures draconiques et… un canard ! Enfin, le dernier scénario incitait les aventuriers à nettoyer le repaire d'un groupe de trolls, qui était à l'origine d'une récente vague d'attaques sur le village. Bien que restant dans l'optique « tranchons & traquons » des modules TSR de l'époque, Apple Lane se démarquait par la plus grande attention portée au contexte ainsi qu'à la personnalité des PNJ.

Pendant presque 20 ans, Apple Lane fut le module d'introduction par excellence de RuneQuest ; il fut même inclus dans la version boîte de la 2ème édition. La version française, couplée à un bestiaire gloranthien, fut publiée par Oriflam sous le titre Les Monts Arc en Ciel.

2e édition

Griffin Mountain, 1981

Attention, vous avez là un des monuments du JDR ! Un des tous premiers suppléments régionaux, Griffin Mountain s'intéresse à une région sauvage de Glorantha, peuplées de monstres, de non humains, de tribus primitives, ainsi que de rebelles fuyant l'avancée du tout-puissant empire Lunaire. Loin de se contenter d'une fastidieuse description géographique, le supplément regorge de personnages, de lieux atypiques, de tables aléatoires, d'accroches de scénarios… Vous aurez de quoi jouer pendant toute une vie dans cet immense bac à sable ! Malheureusement jamais traduit en français, Griffin Mountain a fait l'objet d'une excellente nouvelle édition chez Moon Design Publishing en 2001.

3e édition

Glorantha, 1988

C'est la toute première description globale de Glorantha, bien que l'essentiel des informations concerne le seul continent de Genertela. La boite comporte une grande carte et trois livrets. Glorantha fournit des informations générales sur le monde : histoire, calendrier, langages… Genertela, de loin le livret le plus épais, détaille neuf zones géographiques et leurs entités politiques, avec des exemples d'événements pouvant survenir dans les environs. Enfin, Genertelan Player Book adapte la création de personnages du livre de base et détaille quatre exemples de cultures gloranthienne. Sur le modèle des « What My Priest Says » de Gods of Glorantha (1985), des encadrés intitulés « What My Father Told Me » illustrent la mentalité d'un gloranthien type. Aujourd'hui encore, ce supplément demeure une des meilleures introductions généralistes au Troisième Age de Glorantha. Oriflam publia la version française sous le nom Genertela.

4e édition (1ère édition Mongoose)

Glorantha : The Second Age, 2006

Rédigée par Robin D. Laws, cet ouvrage de 160 pages aborde une période inexplorée de Glorantha : le Deuxième Age. Alors que Glorantha avait acquis la réputation d'un univers complexe à aborder, Robin D. Laws réussit à en faire le terrain de jeu parfait : présentation concise de l'histoire et des peuples, conseils d'interprétation, cité de départ… La seconde édition, parue en 2010, est encore meilleure : en plus de rassembler le contenu des suppléments Ralios et Player's Guide to Glorantha, elle ajoute un nouveau lieu de départ. Malheureusement, la version française de cette édition (2010) fut découpée en deux ouvrages et souffre d'une traduction perfectible.

5e édition (2e édition Mongoose)

Pavis Rises

Vous découvrirez ici non pas la petite ville du Troisième Age bâtie sur un champ de ruines, mais la glorieuse Pavis du Deuxième Age. L'ambiance est très différente de celle des vieux suppléments Chaosium : au lieu des traditionnelles expéditions dans la Grande Ruine, les personnages seront plongés dans des machinations politiques qui détermineront le sort de la cité.

6e édition

Mythic Britain

A la fois cadre de jeu et campagne, ce bel ouvrage vous invite à parcourir une Grande-Bretagne arthurienne inspirée des romans de Bernard Cornwell, où les personnages seront confrontés à la menace saxonne, aux dissensions entre bretons, ainsi qu'à la rivalité entre les anciennes et nouvelles croyances.

Annexe 2 : Sources

Designers & Dragons, de Shannon Applecline, qui a travaillé un temps pour Chaosium.

The History of RuneQuest de Steve Maranci, une histoire éditoriale très complète de RuneQuest du point de vue d'un joueur de longue date.

The History and Resurrection of RuneQuest! De Lev Lafayette, créateur de la mailist RuneQuest Archive. 

State of The Mongoose, des comptes rendus annuels réalisés par le dirigeant de Mongoose à consulter sur le forum ou le blog de Mongoose.

 

RuinedQuest ? Un article paru initialement en 1991 dans le fanzine Tales of the Reaching Moon

Runeslayers Revised Edition. Après l'annulation de RuneQuest : Runeslayers, les auteurs ont diffusé gratuitement leur jeu sur internet et ont publié en 2009 une édition révisée, qui offre quelques détails supplémentaires sur l'origine de la version originale. Aujourd'hui, le site officiel semble inaccessible.