Par Jérôme 'Ficheur fou' Bianquis
Rubrique : Interviews
Date : 02 juillet 2014
Bonjour Brenda, vous êtes l’héroïne du jeu Bimbo qui sort cet été chez Sans-Détour, pouvez-vous présenter l'auteur du jeu ? Il a déjà commis dans le JdR, mais aussi dans le jeu de plateau avec des prototypes hors du commun.
Je crois que c'est avant tout quelqu'un de pressé qui rêve de s'ennuyer. A propos des jeux de convention qu'il a pu produire, je pense qu'il n’aimerait pas que l'on parle de "prototypes". Pour ce que j'en ai compris, il a une vision assez particulière (pour ne pas dire « tordue ») de la séquence de vie d'un jeu de plateau. Là ou normalement tu (on se tutoie ?) commences par développer un prototype, puis le « vendre » à un éditeur avant que ce dernier ne produise le jeu et finalement une version géante pour en faire la promotion, il passe directement du prototype à la version géante. C'est probablement pour moitié par esprit de contradiction et pour moitié parce qu'il trouve particulièrement pénible la phase de démarchage des éditeurs.
Sinon, je pense que le point commun d'une majorité de ses jeux, c'est de tenter de faire des trucs qui semblent peu réalisables, encore une fois par esprit de contradiction. Comme par exemple, faire jouer une vingtaine de joueurs à un wargame avec figurines en simultané, en coopératif et temps réel, sans aucune forme de tour de jeu, comme Assault on Innsmouth... Mais pour être honnête, je crois que lui-même ne comprend pas vraiment ce qu'il fait ni pourquoi il le fait.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour se lancer dans la création personnelle d'un JdR ?
Comme beaucoup de rôlistes, Grégory a déjà produit quelques jeux, dans son coin et pour ses copains. Je sais qu'il y en a au moins un qu'il cite plus souvent que les autres, qui se déroule durant la guerre du Vietnam. Et puis il y a ce système minimaliste qu'il utilise pour nous faire jouer dans l'univers de Lovecraft et qu’il modifie à chaque partie. Mais je comprends bien que la question se rapporte plus à la création d'un jeu pour un éditeur. Je crois que la réponse est liée à celle que j'ai donnée précédemment : il n'aime pas démarcher. Du coup, il fait ses trucs dans son coin ou attend qu'on l'appelle. C'est justement ce qui s'est passé avec Bimbo : ce sont les Editions Sans-Détour qui l'ont contacté en lui proposant d'écrire un jeu qui s'appellerait "Bimbo", tout simplement. Mais dis-moi, Farid : tu m’as invitée pour parler de lui, ou de moi ?
Quels sont les JdR que vous avez le plus pratiqués ou avec lesquels vous jouez encore ?
Il y en a eu tellement. Il y a eu les grands anciens, Runequest (et plus tard Herowars), AD&D, Space Opera et par la suite Rolemaster, il y a eu les jeux de l'âge d'or, Rêve de Dragon, Trauma, Paranoïa, Space 1889, Bitume, Hurlements, Stormbringer... Il y a aussi L'Appel de Cthulhu, bien entendu... Franchement, je vais m'arrêter là avant de passer pour une vieille dame. Sinon, récemment, j'ai commencé à jouer au Star Wars de Edge et je continue à jouer à L'Appel, avec les règles de Grégory. Et il serait question de se relancer dans une mini-campagne de Rêve de Dragon.
Quel est l'univers de Bimbo ?
Le monde de Bimbo, c'est, au premier abord, le cinéma, et en particulier le cinéma d'exploitation, tel qu'il était diffusé dans les grindhouses. Mais le véritable univers, c'est l'image. C'est ce qui le différencie le plus des autres jeux auxquels j'ai pu jouer. Dans Bimbo, l'histoire est écrite à l'avance. On sait où on va : les scripts (les scénarios) sont pour la plupart hyper-dirigistes. Par contre, les actrices ont une totale liberté dans la création de la forme que prendra l'histoire. Ce n'est pas un jeu dans lequel tu découvres un univers, ou dans lequel tu explores une histoire. Il n'est pas vraiment question d'enquête non plus. Non : c'est surtout un jeu dans lequel tu crées des images en action. Les options qui sont mises à la disposition des joueuses, les récompenses mais aussi les malus et, surtout, la compétition, te poussent à parfaire des descriptions et à te lâcher. C’est ce qui m’a le plus surprise lors du tournage des exemples (les « rushes ») de Bimbo.
Quelles sont les sources d'inspiration ?
Le cinéma d’exploitation en général, mais aussi son renouveau de ces dernières années, tel qu'il apparaît par exemple dans les films de Tarantino ou de Rodriguez. Ce qui donne une plage assez énorme de types de films, que ce soit au niveau des univers ou dans la qualité : Greg me parlait des films qu'il a dû ingurgiter pour parfaire sa connaissance du genre et franchement, je le plains.
Quelle est la cible de joueurs que vous visez du coup ?
Personnellement, je ne vise personne, j’ai tourné les exemples et j’ai déjà été payée. Ceci étant dit, j’espère que le jeu atteindra un public mature. Mais pas restreint à des joueurs expérimentés. Je pense même que Bimbo est plutôt un bon jeu pour commencer le jeu de rôle. Déjà parce qu’il permet des comportements naturels aux nouveaux joueurs que les jeux plus classiques réprouvent. Par exemple, si lors de ta première partie de donj’ tu aperçois ton premier orc avec la clé que tu cherches autour du cou, tu vas avoir tendance à dire un truc du genre « je dégaine mon épée et je cours vers lui pour le tuer et je récupère la clé : c’est la bonne ? » Ce à quoi le maître de donjon te répondra : « houlà, pas si vite, tirez tous un dé pour l’initiative ». Dans Bimbo, on te répondrait plutôt « ok, c’est un travelling ». Si tu rajoutes à ça que plus de la moitié du texte contenu dans la boîte explique comment jouer et utiliser les règles (en plus de les exposer)...
En fin de compte, je crois que ceux qui auront le plus de mal à utiliser Bimbo, ou à en tirer tous les bénéfices, seront les maîtres de jeu expérimentés qui le liront en diagonale. Les mêmes qui se plaindront de la mécanique du jeu qui est complètement biaisée…
Justement, Brenda, concernant les mécaniques de jeu, quel est le parti pris ?
Le système de résolution est très simple et presque complètement biaisé en faveur des joueuses ou, pour être plus précis, des vedettes. Il existe trois catégories de personnage dans Bimbo : les figurants, les seconds rôles et les vedettes. Les personnages des joueuses appartiennent normalement à cette troisième catégorie et il n’y a jamais plus d’un ou deux intermittents (PNJ) qui ont, eux aussi, le statut de vedettes. La règle de base du jeu c’est que si l’un des joueurs, qu’il s’agisse d’une actrice ou du metteur en scène, décide de faire quelque chose et que personne ne s’y oppose, ça arrive. Et ce quel que soit le niveau de difficulté de l’action.
Si quelqu’un n’est pas d’accord, alors une opposition est mise en place. Des enjeux positifs sont déterminés (« je veux l’en empêcher » n’est pas un enjeu positif), chacun détermine ses atouts et les dés sont jetés, de 1 à 3 selon la catégorie. On additionne l’un des dés et ses atouts et on compare les résultats. Le fait est que le jeu valorise autant la réussite que l’échec : certaines scènes seront bien plus intéressantes si l’héroïne échoue, et dans certains scripts, il s’agit du but à atteindre : se faire capturer, se sacrifier pour sauver le monde libre, que sais-je encore. Au final, le hasard des dés ne sert pas tant à déterminer une réussite comme dans d’autres jeux qu’à déterminer l’amplitude du choix des joueuses entre l’échec et la réussite. Un très bon résultat avec 3 dés étant à ce titre 1, 3 et 6, plutôt qu’un triple 6.
Selon les adversaires, il existe des cas de réussite automatique, mais pas de réussites critiques. Par contre, la première actrice d’un film qui obtient un triple 1 devient l’élément comique du film : c’est un échec critique qui dure toute une partie, mais qui est à la fois très rare (à ma connaissance, ce n’est arrivé que deux fois seulement lors des tests) et très amusant.
Se rajoute à cela le système des plans qui permet d’obtenir des bonus, d’enchaîner des actions sans être interrompue ou encore de jouer des flashbacks. L’utilisation de ces derniers permet de plus de gravir plus rapidement l’échelle du star système. Or, et c’est là que le côté « graphique » du jeu prend sa source, l’utilisation de ces plans entraîne naturellement (et pas seulement obligatoirement) des descriptions de la part des joueuses. Pour utiliser un gros plan, par exemple, la joueuse doit décrire se qui se trouve dans le cadre. Pas parce que les règles stipulent que c’est obligatoire, mais simplement parce que sinon ça ne fait pas sens : Pour reprendre un exemple de jeu classique, ne pas dire ce qui est dans le plan, c’est un peu comme dire « j’attaque » sans désigner ni sa cible ni son arme. De même, si habituellement il suffit de dire « je tire avec mon arc sur le chevalier », vous aurez tout intérêt dans Bimbo, à dire : « Je tire avec mon arc : gros plan sur la fente du casque du chevalier… (jet de dés rapide avec un bonus de gros plan et aucune prise en compte de l’armure ou du reste de la situation (obstacles, distance, etc.) qui n’apparaissent pas à l’écran)… au centre de laquelle ma flèche vient de se planter ». Et ce n’est qu’un des effets disponibles.
Comment sont définis les personnages ?
Chaque actrice possède un book sur lequel sont inscrits ses scores de SEXY et de MACHO qui définissent en gros si elle est plus orientée vers la séduction, la finesse et la manipulation ou vers la force brute, l’endurance et l’action. Un haut score de SEXY vous donnera la possibilité d’annuler et de retourner plus de scènes grâce au « Coupez ! On la refait ! » et un haut score de MACHO vous autorisera à remplacer vos D6 par des D10 et à encaisser plus de défaites.
Le book contient aussi le répertoire, une liste de phrases qui sont en fait une description des différents rôles que l’actrice a pu travailler et dans lesquelles elle pourra piocher son inspiration en cours de partie afin de booster ses actions. D’autres éléments y sont également inscrits qui sont plus des outils à disposition des actrices qu’une description ou une définition de cette dernière, parmi lesquels les scènes de films dont elle a gardé les rushes pour les utiliser à nouveau, ses économies, qu’elle pourra réinvestir dans le film, etc.
Mais ce book décrit plus l’actrice que le personnage. Ce dernier, le personnage incarné pour le temps d’un film, est en général décrit en deux mots : un nom commun et un adjectif. Ce qu’il ou elle sera dans le film, ses réussites et ses échecs, dépendront de la façon dont l’actrice choisira de l’interpréter et de la marge de manœuvre que lui laisseront les autres actrices.
A ce propos, peux-tu m’en dire plus sur la compétition entre les joueuses ?
Chaque actrice dispose d’une jauge, l’« échelle du star-système » sur laquelle elle va engranger (et parfois perdre) des points au fil du tournage. Ces points sont attribués en fonction de ses actions. Leur gain est strictement mécanique en ceci qu’il n’y a pas d’interprétation du metteur en scène, par exemple. L’actrice qui est la plus haut placée dans l’échelle à la fin du tournage devient la « tête d’affiche ». L’objectif de ce système est double : d’une part en créant une concurrence entre les actrices, il permet de rendre intéressants des tournages dans lesquels leurs personnages sont surpuissants, là où dans la majorité des jeux de ce genre on se retrouve souvent face à des ennemis eux aussi surpuissants qui du coup font de vous des personnages « pas si surpuissants » que ça, ou bien, enlèvent tout défi réel puisque personne ne peut s’opposer à vous. D’autre part, le système motive à utiliser d’autres éléments du jeu, comme les plans, ou à s’investir dans l’histoire et à créer de la surenchère, en récompensant les actrices qui concluent des scènes, par exemple.
En parallèle, une autre jauge, commune, gère la réussite du tournage à travers les « points de bouclage ». Celle-ci oblige à un jeu coopératif et empêche que le tournage ne se réduise à un combat entre joueuses, puisque pour être la vedette d’un film, il faut qu’il y est un film, que le tournage soit « bouclé ».
Ces deux jauges, en obligeant à balancer les choix individuels et collectifs font de Bimbo une expérience semi-coopérative (ou semi-compétitive) assez particulière.
Comment se présentera le produit ?
Sous la forme d'une boîte, dans laquelle on trouvera trois livrets : l'actor studio, qui contient les règles du jeu, la mise en scène qui va plus loin dans l'explication des règles et de la façon dont on fait jouer à Bimbo, et enfin les scripts, qui donnent quatorze scénarios. Il y aura aussi un paquet de cartes clichés et un autre de cartes plans, et je viens juste d’apprendre qu’il y aurait aussi des dés.
Quelle sera la suite du JdR Bimbo ?
BImbo sortira en même temps que Bimbo 2 - le retour, qui contiendra un écran et des planches d’accessoires. Pour l’instant, il n’est pas prévu d’y rajouter d’autres suppléments : Bimbo a été conçu comme un jeu complet ; même le secret du jeu est dans la boîte de base (oui, Bimbo est – aussi – un jeu à secret, mais sans « S »). Ceci étant dit, j’imagine qu’il ne faudrait pas plus de quelques bières pour amener Grégory à se remettre au travail sur un supplément, même s’il s’en défend.
Avez-vous d'autres projets en dehors de Bimbo ?
Je ne suis pas certaine que Grégory me reprendra comme héroïne principale dans un autre de ses jeux, s’il en écrit un jour un autre. D’ailleurs, pour ça, il faudrait déjà qu’on le lui demande. Du coup, je suis prête à apparaître dans les exemples de n’importe quel autre auteur qui m’en fera la demande, tant que le cachet est proportionnel à mon talent (et à ma célébrité).