L'oeuvre de Terese Nielsen a saisi l'imaginaire présent dans l'industrie du jeu et du comic. Que vous soyez submergé par la beauté de "Stream of Life" ou "Moonsprite", ou vautré dans les images grotesques d'un super-héros mutilé dans "Ruins", vous devez sûrement admettre que cela ne vous a pas laissé de marbre. Elle s'est fait une place dans le monde du dessin fantastique, présente dans les hautes sphères comme l'une des principales dessinatrices dans ce domaine, et elle fut honorée dans les cinq derniers volumes de Spectrum. L'horizon déborde de promesses pour cette artiste de talent d'un rare potentiel.
Issue d'un milieu modeste (comme certains personnages historiques), elle naquit avec son frère jumeau chez des fermiers de la petite ville d'Aurora (Nebraska) en 1966. Elle grandit en parcourant des kilomètres de champs de maïs et en apprenant à travailler dur, chargée de responsabilités depuis le jeune âge. Comme il n'y avait pas de maisons à proximité, elle et ses deux frères constituaient le "voisinnage" et jouaient ensemble pendant des heures. Bien souvent, les hivers froids les trouvaient serrés autour d'une pile de papier qui ne s'épuisait jamais, grâce à leur mère encourageante. Bien qu'ils aimaient tous les loisirs séculaires du dessin et du coloriage, Terese se sentait toujours incapable de rivaliser avec le génie créatif incontestable de son grand frère, Ron Spencer. Elle n'avait jamais autant de passion que lui, et elle n'envisagea pas de suivre une carrière artistique avant sa troisième année de lycée.
Vu son intérêt précoce pour la physiologie et la psychologie, elle avait toujours pensé s'investir dans le domaine médical. Ce n'est pas fréquent d'entendre parler d'un lycéen abonné à "Psychology Today" (ce serait presque effrayant, sauf à savoir que son éternel intérêt pour les rouages de l'esprit, à se demander "qu'est-ce qui fait marcher les gens", lui a bien servi et continue comme thème florissant dans sa toile de vie). Devenir docteur fut hors sujet lorsqu'elle buta sur les mathématiques, mais elle n'abandonna pas l'espoir d'un poste technique - pas avant la chimie. Elle décida alors de chercher un vrai métier et de recommencer à dessiner, et de laisser les carrières traditionnelles aux moins chanceux qu'elle.
Terese fut profondément influencée par les dessinateurs de fantastique et de comic Boris Vallejo, Rowena Morrill, Frank Frazetta, Michael Whelan, Barry Windsor Smith et Jim Fitzpatrik (et, bien sûr, son Grand Frère). Pendant l'absence de deux ans de Ron, elle finit par se convaincre qu'elle pouvait réussir sans sa tutelle divine. Avec des dessins au crayon et un pointillisme à l'encre remarquables, elle gagna une abondante reconnaissance et se chauffa à l'idée d'être une grosse pointure.
La pointure crût encore lorsqu'elle suivit son frère à Rexburg (Idaho) pour étudier le dessin à la petite mais célèbre Ecole de Rick à l'automne 1984. Un peu intimidée et craignant d'être avalée par la compétition, elle sacrifia son sommeil nuit après nuit par volonté d'être aussi bonne, ou meilleure, que n'importe qui d'autre. Cette inflexible recherche de la perfection lui valut rapidement une place de tête de classe, et elle fut la seule à obtenir un A+ au cours le plus rigoureux et difficile de l'école. Les dessinateurs contemporains Leon Parson, Robert Heindel, Mark English, Bernie Fuchs et Bart Forbes incarnaient l'essentiel de ce qu'elle désirait devenir à cette époque.
Malgré les félicitations et la réussite artistique dont elle profita là-bas, sa meilleure expérience n'eut rien à voir du tout avec le dessin. Cela arriva le jour où elle succomba aux cajoleries d'un enseignant très macho, et en fin de compte consentit à un bras de fer qu'il réclamait. Il savait qu'elle faisait de l'haltérophilie, mais étant notablement plus lourd, il attendait avec impatience l'opportunité de la remettre à sa place. Après ce jour-là il ne fut plus tout à fait le même. Le "bébé aux biceps" avait frappé, et tout d'un coup la perspective de prendre un congé sabbatique parut très attrayante au pauvre homme.
A l'Ecole de Rick, Terese réussit à embrasser la compétition, et après le diplôme son frère et elle firent route jusqu'en Californie avec des coeurs plein d'espoir. Ils entrèrent à Los Angeles avec 200 dollars en poche et le réservoir d'essence de la vieille Rambler de 61 (qui avait appartenu à la grand-mère) à moitié plein. Etant jeunes, ils ne se rendaient aucunement compte que toutes les chances étaient contre eux. Tout ce qu'ils avaient, c'était le rêve d'entrer à la prestigieuse (et chère) Ecole de Dessin Art Center à Pasadena - mais c'est tout ce qu'il leur fallait.
Terese commença ses cours à Art Center en septembre 1988. Elle entra dans l'ombre affaiblissante du sombre et lunatique Matt Mahurn, pour prendre sa place parmi un groupe de gens assez spécial. De temps à autre quand les planètes s'alignent, une rencontre d'âmes a lieu, comme si tous les intéressés s'étaient soudain réveillés pour se dépêcher d'aller à un rendez-vous oublié. Maître après maître confirmèrent qu'ils n'avaient pas vu une classe aussi douée depuis dix ans. Avec une rivalité forte mais amicale, cette poignée d'élèves se tirèrent les uns les autres et devinrent un modèle pour les autres.
C'est alors que ses capacités à entrer dans l'esprit de ses enseignants pour savoir ce qu'ils voulaient, furent particulièrmeent utiles (tous ces numéros de Psychology Today, sans aucun doute). Ses collègues se grattaient la tête en se demandant pourquoi elle était l'une des rares à passer les examens avec succès.
Quand elle arriva, Terese était très en avance en dessin de silhouette et en peinture. Elle avait une préférence et un don pour les portraits, et elle aurait poursuivi dans les illustrations de mode si le cycle de l'industrie ne s'était porté vers la photographie au début de sa carrière à Art Center. Influencée par les dessinateurs contemporains Malcolm Liepke, Thomas Blackshear, Charles Bragg, Robert Rodriguez, Dave McKean et Bill Sienkiewicz, elle changea de vitesse et se mit à faire un portfolio de peintures de gouache pour des oeuvres destinées aux couvertures de livres, aux comics et aux affiches de cinéma. Des dessinateurs commencèrent à avoir une influence majeure, ce furent les artistes du début du siècle John Singer Sargent, Joaquin Sorolla et Gustav Klimt.
Ce fut à cette époque à Art Center qu'elle ne put s'empêcher de remarquer le côté "domination masculine" de la profession. En sept ans tous les professeurs sauf deux avaient été des hommes. L'un de ses amis s'était lamenté, "tu es si douée, parmi les meilleurs de l'école, mais tu n'arriveras jamais à rien parce que tu es une femme". Ce reproche poignant aurait pu en décourager certains, mais Terese le prit comme l'opportunité de s'élever au-dessus des idées reçues. D'importance non négligeable fut le soutien et l'opinion de son mari, Cliff. Il n'avait jamais adhéré au mythe culturel, et sa confiance en elle augmenta. Partout où elle montrait son livre elle obtenait un travail. Aujourd'hui, elle soutient que son sexe n'a eu pratiquement aucune influence sur ses commandes ; cela n'était ni avantage ni défaut, ce qui, bien sûr, est dans l'ordre des choses.
Terese obtint son diplôme de l'Ecole de Dessin Art Center avec "grande distinction", la mention la plus élevée, en avril 1991. Ayant chevauché les courants de prospérité et dur labeur, et après un cycle d'études presque complet, elle était prête à se lancer dans le monde du dessin professionnel.
Sans surprise, après son diplôme Terese eut un flux de commandes régulier et presque automatique. L'un de ses premiers clients fut Landmark Entertainment. Avec des couleurs et éclairages émouvants elle insuffla la vie dans ses dessins à thème de parc. Elle peignit des jaquettes de CD de jeux micro pour Phillips, via Maddocks Design Firm à Los Angeles. D'autres clients comprennent Harcourt Brace Jovanovich, NPQ, Writer's Guild et Administrative Radiology. Il ne lui fallut pas longtemps avant de réaliser plusieurs cartes à collectionner de super-héros pour DC et Marvel, ce qui fut le début de sa carrière dans l'industrie du comic et du jeu. Sa meilleure couverture de comic fut peut-être "Ruins" pour Marvel, qui fut en fait un projet co-dessiné par son mari et elle. Ce fut d'ailleurs leur dernier projet commun, car leurs voies divergèrent. Ils furent officiellement divorcés au moment où "Ruins" arriva en kiosque.
Wizards of the Coast eut vent de son oeuvre en 1996, et elle surgit dans Magic the Gathering - série Alliances - la même année. Depuis elle a participé à la plupart des séries de cartes, et elle représente encore une forte influence artistique dans le monde du jeu de rôle. Elle a participé à des séances de dédicace au-delà de l'Atlantique et du Pacifique, preuve de la demande internationale pour ses dessins. L'un des directeurs artistiques de WotC en fit le commentaire, "Tu es l'une des rares dessinatrices que je ne peux pas classer. Tu fais tout bien".
Peut-être les capacités intuitives de Terese sont-elles autant responsables de son succès que ses délicats coups de pinceau. Elle a le don de percevoir les pensées et émotions des auteurs et directeurs artistiques. C'est souvent étrange à quel point elle est capable de percevoir l'imagination des créateurs, puis de pousser un cran plus loin pour réaliser quelque chose d'encore meilleur que ce qu'ils avaient rêvé. Quand Terese dessine un personnage, elle veut le faire au-delà d'un niveau impersonnel. Elle veut entrer dans la tête du personnage et le représenter de manière à pouvoir le lire de différentes façons. Vous vous surprendrez à y revenir encore et encore, attiré presqu'involontairement par le regard intense souvent présent dans ses tableaux. Il y a une profondeur tentante et de la complexité dans son oeuvre. C'est bien illustré par l'interprétation de Gerrard pour une couverture de Duelist de 1998. Elle est capable d'imprégner ces êtres d'imagination d'un tel charisme, d'une telle intensité, qu'ils viennent vraiment à la vie, prenant leur juste place aux côtés des autres êtres pensants de l'univers.
Ces cinq dernières années, Terese a ressenti de nombreuses influences et ses goûts ont évolué. Elle continue de respecter les oeuvres de Gustav Klimpt, Alphonse Mucha (et d'autres de la période de l'Art Nouveau), les artistes pré-Raphaelites, Adolphe Bouguereau, J.W. Waterhouse et Sir Frederick Leighton. Les dessinateurs de l'âge d'or de l'illustration américaine ont aussi leur importance : N.C. Wyeth, J.C. Leyendecker, Dean Cornwell, Howard Pyle, Andrew Loomis et Maxfield Parish. Le dessinateur contemporain de comics Bernie Wrightson continue à la stimuler avec ses oeuvres précoces comportant des compositions dramatiques et d'intriguants jeux d'ombre et de lumière.
Terese est séduite par la psychologie féminine, et elle a plaisir à faire des portraits de femmes en tous genres. Les dessins sont souvent intenses et provocants (comme dans "Revelation," "Elvish Ranger," et "Keeper of the Flame"), mais ils peuvent aussi être apaisants, éthérés, mystiques (comme dans "The Enchanted," "Savant," et "Foresight"). Gardant ceci à l'esprit, il paraît tout à fait naturel qu'elle se soit délectée à dessiner l'immortelle Xena, princesse-guerrière. Elle dessina la couverture du premier numéro de comic Xena en 1998, publié par Topps. Par la suite elle fit sept autres couvertures, qui peuvent être vues en ligne ici.
Depuis longtemps connaisseuse de la morphologie humaine, la peinture de musculature masculine est également une de ses favories. On ne peut pas passer sous silence l'énergie mâle irrécusable de dessins comme "Force of Will," ou sa publicité de 1997 pour "Battletech". L'immortel succès d'oeuvres comme "Stalking Tiger" et "Natural Order" atteste de sa capacité à copier les animaux également.
Bien qu'elle soit certainement capable de vous donner la chair de poule, Terese sent à présent comme une "overdose" des images sombres qu'on lui a souvent commandées. Elle se sent brassée et est attentive à l'appel intérieur de dépeindre des scènes de lumière. Souhaitant aller au-delà du macabre, elle aspire à passer plus de temps sur ses intérêts du présent.
L'impulsion de trouver et d'utiliser sa propre expression est devenue irrépressible, et elle désire trouver un but à son oeuvre. Dans son monde idéal, elle serait capable d'encourager l'équilibre et l'harmonie à travers la peinture. Elle stimulerait le spectateur pour qu'il explore son grand potentiel intérieur inexploité, et pour qu'il donne forme à des rêves encore embryonnaires. Elle pousserait les gens à se pencher sur les mécanismes de leur âme, et avec un sursaut d'intuition, à les guider jusqu'à une expression d'eux-mêmes plus entière. Que cela se fasse à travers la peinture, des vitraux ou des fontaines de table, le but est le même. (Cela dit, elle pourrait se contenter d'être directrice artistique de Psychology Today).
Au-delà de ses moyens professionnels, cependant, elle poursuit cette volonté avec ses intimes. Terese habite Temple City (Californie) avec son compagnon et leurs quatre enfants. Baignée de maternité, il n'est pas rare pour Terese de passer des heures à donner vie à quelque chef-d'oeuvre visionnaire de son fils de neuf ans irrémédiablement créatif. Bien souvent, on la trouve en train d'écouter patiemment les divagations des petites filles avec qui elle partage sa vie, en peignant. Avec beaucoup de choses accomplies et bien plus à venir du studio de Terese Nielsen, ses plus grandes réussites se reflètent incontestablement dans les yeux de ses êtres chers.
Traduit d'après le site de l'auteur, avec son aimable autorisation.
Cette bio a été rédigée entre le 8 mai 2000 et le 8 mai 2009.