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Fluctuat, nec mergitur

Interview ForSats

Par Hervé

Rubrique : Interviews
Date : 11 juin 2013

A l'occasion de la sortie de ForSats, vaste supplément qui permet de plonger dans l'univers carcéral de D6 Galaxies, le Grog a pu échanger avec Laurent Séré, l'un de ses créateurs. Au nom de l'équipe, il a accepté de nous parler de la gestation de ce bébé bien joufflu. En effet, entre la preview faite en juin 2012 et sa découverte un an plus tard, il a fait plus que doubler de volume !

Bonjour Laurent. Tu es l'un des auteurs de ForSats, récemment sorti. Pourrais-tu te présenter rapidement ? Comment as-tu découvert le JdR, quelle place prend-il dans ta vie ?

Merci de me poser cette question. Je souhaiterais cependant éviter d'y répondre ailleurs que dans ma bio. Comme les ForSats, je ne suis qu'un individu au milieu d'un collectif. L'équipe avant tout. Mais quelque chose me dit que nos données individuelles seront bientôt divulguées sur le métaréseau du GRoG...

« ForSats » ? Est-ce un mot d’origine étrangère ou est-ce que vous avez fait une vilaine faute d’orthographe en concevant la dernière publication du Studio 09 ?

Difficile de se prononcer sur la première option, en revanche le terme est bien un néologisme parfaitement assumé. Il est né de la contraction de deux mots, « foreur » et « satellite », attribuée aux bagnards condamnés à une peine de travaux forcés dans l’univers futuriste en guerre décrit par D6 Galaxies - Prologue. Par extension, il s’agit aussi du nom des condamnés intégrés dans les rangs du Ier régiment de détenus-soldats servant au sein de l’armée fédérale. Ceux-là même que l’ouvrage propose d’incarner.

Quelle est l’origine de cet ouvrage de space opera ?

Depuis quelques années j’entretenais l’idée de développer quelque chose autour du thème carcéral. Je pensais le connecter à l’univers de Vidocq et puis finalement c’est de façon assez surprenante une participation au développement de D6G qui a ouvert la voie à ForSats. Ce régiment particulier devait initialement faire l’objet d’une simple mention dans le livre de base de la gamme, avant de devenir un chapitre de Guerre Totale – un supplément sur la guerre qui n’a pas vu le jour – et finalement il constitue le thème d’un ouvrage à part entière.

Pourquoi avoir fait le choix de cette thématique justement ?

Nous cherchions une bonne accroche. Rétrospectivement, je crois que cette thématique s’est imposée comme un moyen original d’aborder le conflit qui ravage les Constellations (les territoires stellaires de D6G). Plutôt que de simplement aborder la question du conflit galactique sous la forme d’un catalogue, nous avons préféré employer les ForSats à la fois comme focale sur un concept de personnage original et comme des révélateurs de la terrible guerre à laquelle ils participent à leur manière très particulière.

Mais l’ouvrage ne parle pas que de la guerre qui oppose la Fédération au Cartel. Qu’est-ce qui vous a motivés à dépasser les frontières du cadre militaire ?

Sans doute un souci d’exhaustivité. Nous avons éprouvé la nécessité de proposer une progression thématique, ce qui nous a conduit à développer des aspects périphériques à ce que sont les ForSats. Une façon d’introduire les étapes de leur existence qui ont précédé leur intégration au sein de l’armée fédérale. Ainsi le premier chapitre traite-t-il de la loi pénale, des infractions, du système judiciaire. Il peut à la fois servir pour construire un personnage ayant un passé criminel, mais aussi comme outil de référence pour bien d’autres jeux que D6G. Le chapitre suivant offre une description aboutie de ce qui se passe au sein des BaGals, les bagnes galactiques. Un MJ inspiré pourra y faire jouer des scénarios vraiment différents, c’est l’un des objectif poursuivis en tout cas, outre celui d’offrir de la matière pour élaborer le background des personnages joués.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour venir à bout des 532 pages de ce projet volumineux ?

C’est bien simple, une année entière. Le travail préparatoire a débuté au mois d’avril 2012 et nous avons commencé à communiquer en juin. Le cheminement a été un peu fastidieux : plus nous avancions et plus il nous semblait nécessaire de ne pas faire l’économie de tel ou tel aspect. Au final, l’ouvrage fait plus du double de pages annoncées et compte une cinquantaine d’illustrations.

Gros travail, grosse équipe en conséquence ?

Nous sommes quatre. Frédéric Thévenin et moi pour les textes. Jean-Marc Emy et Erwan Broudin pour les illustrations. Jean-Marc, en sa qualité d’architecte de profession, a naturellement pris en main les bâtisses et les vaisseaux spatiaux. Sa maîtrise des perspectives offre des angles de vue et des notions de profondeur vraiment stupéfiantes. Erwan s’est quant à lui plutôt consacré aux personnages, aux équipements, à l’esthétique thématique générale de l’ouvrage. Il a mis son talent à profit pour conférer une identité à ForSats. C’est d’ailleurs pourquoi il a assuré la réalisation de la maquette. L’échange des idées a été permanent entre nous, les illustrations se sont nourries des textes et inversement. Nous avons aussi bénéficié du soutien de plusieurs proches, tant pour les tests mécaniques que pour les indispensables relectures et conseils bienveillants. Cédric B., l’auteur de D6 Galaxies (et de plusieurs autres jeux, comme Tecumah Gulch ou Campus), nous a laissé carte blanche pour organiser le développement de l’ouvrage tout en demeurant disponible pour accompagner son intégration à une gamme promise à s’étoffer encore dans l’avenir.

Tu parles de « tests mécaniques », est-ce à dire que ForSats introduit de nouvelles règles ?

Tout à fait, c’est le cas, en rapport avec le système D6, réputé pour sa flexibilité. En plus d’une simulation de procès transposable à d’autres univers de jeu, des équipements militaires très particuliers sont décrits par le menu parmi lesquels le fusil d’assaut sécurisé Pandore et l’armure Ares dotant tous deux les ForSats. Nous avons conçu ces armes de façon modulaire. Ainsi la partie de l’ouvrage consacrée à la cuirasse de combat propose-t-elle une quarantaine de modules susceptibles d’être combinés pour élaborer des armures vraiment différentes en fonction des missions et des profils des personnages. De nombreuses autres règles sont prises en compte, telles que celles portant sur les ressources tactiques employables en cours de mission, sur les moyens de communication opérationnels, sur les conditions de déploiement sur le terrain, etc. De surcroît, un système de création de personnage alternatif complètement refondu permet d’élaborer un alter ego au passé criminel défini, à l’affectation justifiée au sein d’un régiment particulièrement exposé aux risques, et à la perspective d’avenir consolidée par ce qui le pousse, intimement, à tenir bon face à l’adversité.

ForSats peut-il à ce titre être abordé comme un ouvrage autonome, comme une sorte de spin-off ?

Nous avons travaillé dans une double optique. En premier lieu, produire un ouvrage appartenant à une gamme, celle de D6 Galaxies. À ce titre, ForSats a le statut d’un supplément nourrissant l’univers de jeu tout en prolongeant certains aspects à peine abordés dans le livre de base. Mais nous nous sommes aperçus aussi en cours d’élaboration du projet que le concept de ForSats – et la façon dont nous l’avons traité – offrait aussi tous les ingrédients nécessaires à en faire un ouvrage de jeu de rôle autonome. Il est ainsi parfaitement envisageable de prendre en compte ForSats seulement pour jouer des criminels convertis en soldats de circonstance. Tout y est, ou pas loin : description du régiment, de son vaisseau-garnison, de la gamme des missions qui sont confiées aux bagnards, ainsi que de nombreux personnages non-joueurs de nature à animer leur quotidien.

Ne craignez-vous pas un étiquetage qui ferait entrer cet ouvrage dans la catégorie des porte-monstre-trésor de l’espace ?

On peut le craindre, effectivement, mais ce serait porter un jugement lapidaire sur un ouvrage qui propose bien autre chose qu’un simple enchaînement de missions de combat. Certes, la guerre est au cœur du motif d’existence des détenus-soldats. Pour autant, nous avons développé ForSats à la façon dont nous avons toujours joué aux jeux de rôle : en proposant un univers riche et cohérent, une histoire à tiroirs, des personnages non-joueurs variés et hauts en couleur, un refus de donner dans le manichéisme, un fragment d’existence accordée à chaque personnage au sein d’un ensemble. Nous souhaitons faire la part belle au récit, utiliser l’action et le danger omniprésent comme des moteurs du fonctionnement du groupe.

Justement, qui sont-ils, ces fameux ForSats ?

Avant tout des individus qui ont fauté, qui ont franchi la frontière séparant ce qui est admissible de ce qui est interdit, sanctionné par les lois. Tous ont un passé de criminel, tous ont séjourné au bagne, tous sont marqués par leur parcours d’une manière ou d’une autre. Volontaires spontanés ou candidats « un peu aidés », ils ont choisi d’emprunter un raccourci. Plutôt que de trimer dans un BaGal, ils ont opté pour une prise en main de leur destin, quitte à le rencontrer tragiquement avant l’heure. Encore soumis à un régime semi-carcéral, pas tout à fait admis comme d’authentiques soldats, ils vivent un entre-deux, à bord de l’Argès, le vieil astrocuirassé à bord duquel est caserné le régiment. Encadrés par des militaires endurcis, ils sont tirés vers le haut, poussés à l’excellence. Dans cette unité, il n’y a pas de place pour les médiocres, chaque ForSat présente de solides prédispositions qui justifient de sa sélection. À défaut d’être à niveau et de respecter les règles – ou d’en donner l’illusion – le couperet tombe, impitoyablement : R.A.B. (retour au bagne). Chacun a une histoire personnelle, une motivation forte, peut-être secrète. Par ailleurs, les liens avec le monde criminel sont difficiles à rompre et certains ForSats sont encore fidèles à leurs anciennes allégeances. C’est dans cet esprit que nous avons développé huit factions dominantes du milieu : des doctrinaires Apogéens prônant la domination de l’espèce humaine jusqu’aux audacieux trafiquants d’armes Stellion Forgetech.

Qu’est-ce qui justifie que ces personnages très typés, dont certains appartiennent peut-être même à des factions rivales, s’accommodent les uns des autres ?

D’abord parce qu’ils n’ont pas le choix. Les militaires qui les encadrent les ont très vite informés de la règle numéro un : le groupe avant tout. On revient ensemble du théâtre d’opération ou on y retourne pour aller récupérer ceux qu’on a laissés derrière. On est soit tous sanctionnés, soit tous récompensés. Pas de demi-mesure, la SCOAD (section carcérale opérationnelle astro déployée) est pensée pour devenir une nouvelle famille. À ce titre les relations entre les personnages sont prises en compte. Nous avons introduit un système d’affinités, qui permet de situer son alter ego vis-à-vis des autres membres de la section : sympathie, méfiance, indifférence, haine tenace ? De nombreuses combinaisons sont envisageables. Elles sont d’ailleurs promises à évoluer au fil des aléas vécus par ce groupe très particulier où chacun exerce une spécialité utile aux autres (Feu, Choc, Com, Génie, Médic, Reco).

Bon d’accord, ces joyeux boy-scouts risquent leur peau à tout bout de champ (d’astéroïdes) ; mais qu’est-ce qu’ils y gagnent au bout du compte ?

Évidemment, toujours cette litote : « Si je le fais, qu’est-ce que ça me rapporte ? » Alors oui, les ForSats n’échappent pas à une transaction conclue entre eux, l’administration pénitentiaire fédérale et l’armée. Les termes de l’accord sont clairs : s’ils ne font pas l’affaire, s’ils ne respectent pas les règles édictées, s’ils essaient de se faire la belle, retour au bagne. En revanche, s’ils donnent satisfaction, s’ils paient de leur personne, s’ils survivent assez longtemps pour en profiter, dans ce cas la perspective de leur libération anticipée est envisagée. Un système de jeu permet de gérer cet aspect. D’ailleurs, pour renforcer encore l’identité de la SCOAD, chacune d’entre elles a un Statut (de « Recrue » à « Libérable ») qui vaut collectivement pour ses membres. Pas de grade individuel. Cette évolution s’accompagne de l’octroi de privilèges qui rapprochent les ForSats de la porte de sortie. Tous ou aucun. Chaque personnage fait aussi son propre chemin, en fonction de sa motivation. Recherche d’une forme de rédemption ou poursuite d’un objectif très personnel, de nombreux axes sont envisageables pour un joueur inspiré.

Envisagez-vous des perspectives de développement du concept ou est-ce que ForSats demeurera seulement un supplément « un peu particulier » dans la gamme D6G ?

Au sortir du travail abattu, notre véritable regret est de ne pas avoir eu la place de faire figurer dans les pages de l’ouvrage la campagne programmée. Mais l’équipe est déjà sur des charbons ardents et notre production complémentaire offrira de faire vivre la trajectoire d’une SCOAD de ForSats, depuis leur sélection en qualité de détenus-soldats jusqu’aux berges de la liberté. Une longue traversée, épique, nourrie de plusieurs niveaux d’intrigue. Elle prendra en compte le devenir du régiment, la vie de la section à laquelle appartiennent les personnages, mais aussi leur parcours individuel, entre destinée de soldats d’infortune et candidats à un avenir conforme à leurs ambitions personnelles. Salauds ou héros ? Et si c’était les deux à la fois finalement ?

Merci pour cette interview et bon courage pour la suite !