Je suis Ramsey Campbell. J'écris de l'horreur.
C'est comme cela que je me présente par écrit et sur des panneaux, et dans la conversation aussi si l'occasion se présente. J'aime bien qu'on me dise que les gens n'aiment pas l'horreur, qu'ils ne lisent pas (une situation qui me pousse à me demander comment ils peuvent savoir). Parfois ils me disent même qu'ils n'aiment pas le genre de choses que j'écris, bien qu'ils ne l'aient pas lu. A l'occasion ils me contactent pour m'en dire tant. Il faut reconnaître que le genre de plaisir que cela apporte est limité, et je pense qu'il y a une meilleure raison pour moi de maintenir cette image. Je crois que j'appartiens à une minorité d'auteurs qui disent qu'ils écrivent de l'horreur.
Certains de ceux qui s'en sont fait un nom semblent avoir hâte de montrer qu'ils sont passés à autre chose. Quelques-uns voudraient même nous convaincre qu'ils ne sont jamais venus sur ce créneau, et cherchent à effacer toute trace de leur présence tandis qu'ils fuient la scène du crime. Je ne ferai ni l'un ni l'autre. Peut-être que j'ai eu la chance de découvrir d'abord les classiques du genre - tout ce qui a trouvé sa place entre les couvertures rigides et la bibliothèque publique - mais je n'ai jamais faibli dans ma conviction que l'horreur est une branche de la littérature, quel que soit le nombre qui laisse tomber cette tradition. J'ai commencé à écrire de l'horreur dans une tentative de rendre un peu du plaisir que ce sujet m'avait donné, et je n'ai aucunement terminé. Je n'imagine pas non plus que j'ai le choix.
Lovecraft a déclaré que le récit surnaturel - par lequel il signifiait beaucoup de ce que j'entends par roman d'horreur - ne pouvait être que la description d'un certain type de sentiment humain. Pour sûr l'un des plaisirs de certains des plus grands écrits du genre est l'expérience esthétique de la terreur (qui implique d'apprécier la structure du texte et, pour la fiction en prose, le choix du langage). Je ne considère pas cela comme quelque chose de limité. Il n'y a certainement pas plus de raison de critiquer un texte qui ne transmet que cette expérience que de trouver des objections à une comédie pour n'être rien d'autre que drôle (comme on pourrait le dire de Laurel et Hardy, sûrement ses plus grands représentants au cinéma) ou à une tragédie pour faire pleurer les spectateurs. En vérité, je voudrais qu'il y en ait plus dans ce domaine qui me remplisse d'effroi : ces jours-ci il n'y a guère que les films les plus sombres de David Lynch qui y arrivent. Cependant, le secteur est capable de bien plus, et il réussit fréquemment - en tant que satire ou comme comédie (toute noire qu'elle soit), comme commentaire social, enquête psychologique, et peut-être plus que tout quand il aspire à l'impressionnant, à donner ce sentiment de quelque chose de plus gros que ce qu'on peut directement montrer. L'une des raisons qui font que je reste dans ce genre est que je n'ai pas trouvé ses limites.
Il y a quelques années à une conférence de littérature j'ai participé à un comité dans lequel les orateurs semblaient acclamer la mort du genre (par fertilisation croisée, je crois). Il n'y a certainement rien de mal à étendre les genres en les enrichissant de l'extérieur ; en vérité, les écrivains qui ne lisent que dans leurs propres domaines ont tendance à finir ensevelis dessous (bien que se servir d'expériences vécues qui y soient liées est au moins aussi important que de lire de manière plus large). De manière similaire, j'avais l'impression que le comité trouvait que la destruction du genre était une bonne chose, et j'ai échoué à comprendre comment. J'ai presque pris la parole pour demander si, puisque je ne me sentais pas restreint par mon domaine, je n'étais pas quelque peu inadapté. Ça aurait été une question stupide, vu que je connaissais ma réponse.
On peut soutenir que ma timidité ou au moins ma retenue est ce pourquoi je reste. Je n'ai jamais risqué le tout pour le tout et essayé d'écrire le récit le plus horrible que je pouvais concevoir, car je n'en vois pas l'intérêt. Pour citer le critique David Aylward, comme je le fais très souvent : "les écrivains [de romans d'horreur], qui s'évertuaient à faire de l'impressionnant et qui obtenaient la peur, s'évertuent maintenant à faire de la peur et n'obtiennent que du dégoût" - et il me semble à moi que de trop mettre la pression sur l'horreur (comme je l'ai certainement fait dans "The Parasite") a coutume de ne produire rien d'autre qu'un tas dégoûtant. Si je ne peux pas approcher l'impressionnant, je préfère essayer l'autre qualité que j'apprécie particulièrement dans les romans noirs, pas exclusivement dans l'horreur générique - une inquiétude persistante. J'ai peut-être senti cette voie quand j'ai découvert pour la première fois "Bartleby" de Herman Melville dans l'anthologie 1957 des meilleures histoires d'horreur et je ne me suis pas du tout senti volé de l'argent de poche que j'avais économisé pour acheter le livre. J'ai vite trouvé la qualité dans des oeuvres comme les romans de Thomas Hinde et Samuel Beckett, sans mentionner des films comme Last Year in Marienbad et Los Olvidados. Je ne vois pas de raison pourquoi un roman présenté comme d'horreur ne pourrait pas arriver à ces effets de trouble et de perturbation. Une définition de l'art de qualité est qu'il vous fait regarder à nouveau des choses qui vous paraissaient acquises, et cela peut certainement être vrai pour l'horreur.
Un vieux dicton dit que l'horreur et la pornographie sont les seuls types de fiction qui semblent produire une réaction physique. Apparemment le crétin d'humain qui a sorti ces âneries n'a jamais pu rire ou pleurer grâce à un roman. Je pense qu'il n'y a rien de mal du tout de l'art qui nous donne des sensations, mais je maintiens que les romans d'horreur peuvent aussi s'adresser à l'intellect. Je ne veux pas effrayer les gens au-delà de la raison ; je préfère les effrayer dans la raison. Le domaine a un héritage honorable qui mérite d'être préservé, imité et enrichi. Comme preuve réconfortante que nombre d'écrivains en sont dignes, voyez l'enquête annuelle de Ellen Datlow et les livres "Best New Horror" de Steve Jones. Quant à moi, je pars réessayer.
Traduit (septembre 2008) d'après le site de l'auteur, avec son aimable autorisation.
Cette bio a été rédigée entre le 8 mai 2000 et le 8 mai 2009.