Par Slawick Charlier
Rubrique : Reportages
Date : 24 février 2008
La ludothèque de Boulogne-Billancourt, plus célèbre ludothèque de France, est récemment devenue le Centre National du Jeu. Le Grog était convié à la conférence de presse d'inauguration et vous livre le compte-rendu d'un événement pas si anodin.
Arnaud Brachetti
Président de la Ludothèque
Marine Granger
Directrice de la Ludothèque
Qui ne connaît pas la ludothèque de Boulogne-Billancourt ? Précurseur dans ce domaine, la ludothèque a su se distinguer au fil des années par son activité intense et militante pour le jeu. Elle participe régulièrement aux salons et conventions, et est une habituée du Salon du Jeu et de la GenCon France. Elle a aussi créé un concours de créateurs de jeu, dont la renommée n'est plus à faire, et qui, au fil des ans, a lancé la carrière de nombreux auteurs.
Récemment, la ludothèque a entamé une mutation importante à la faveur d'un événement sans précédent dans le milieu : l'acquisition d'une collection de jeux forte de 5000 pièces ! En effet, Bruce Whitehill, collectionneur de son état, avait décidé de se séparer de son stock, ce qui parvint aux oreilles de la ludothèque, qui décida de monter un dossier auprès des partenaires publics et privés afin de se porter acquéreur. Le budget put être bouclé et la collection achetée. La ludothèque, déjà en possession de quelques 6000 jeux, a profité de l'occasion pour devenir le Centre National du Jeu, étendant ainsi son activité.
Afin d'accueillir l'impressionnante collection que possède désormais le CNJ, il fallait bien des nouveaux locaux, ce qui sera fait début 2008, au sein d'un quartier de Boulogne-Billancourt en construction. Le futur bâtiment répondra à deux objectifs. Le premier, celui de continuer à offrir aux visiteurs un espace de jeu ("Les jeux sont faits pour être joués !"). Le deuxième, mettre en place des expositions qui permettront à chacun de (re)découvrir les jeux d'autrefois ou d'autres jeux, et par là-même un pan de culture.
Les deux espaces ne seront toutefois pas complètement séparés. L'ambition est au contraire qu'ils s'interpénètrent, avec des alternances de salles de jeu et d'exposition. Les jeux seront cependant bien rangés dans deux catégories distinctes, les jeux modernes, effectivement destinés à être joués, et les jeux historiques, dont les mécanismes ludiques "ne présentent plus d'intérêt pour le joueur d'aujourd'hui".
Ce bâtiment ne sera cependant pas le seul lieu d'activité du CNJ, qui entend bien continuer à participer à de nombreux événements autour du jeu, comme dans les salons, conventions, et expositions - ce que fait déjà la ludothèque, comme par exemple pour une récente exposition avec le Musée de la Carte à Jouer, situé... en face du futur bâtiment du CNJ, juste de l'autre côté de la Seine !
Enfin, bien qu'il ne s'agisse pour le moment que d'une possibilité, le CNJ pourrait développer son activité en ligne en mettant sa base de données de jeux à disposition de tous. Le logiciel utilisé pour la gestion de cette base est actuellement en cours d'étude et devrait permettre de trier et référencer au mieux les jeux nouvellement acquis. Ce qui ne sera pas un mince travail car, comme le soulignent les intervenants, il n'existe pas pour les jeux d'équivalent des ISBN ou d'un dépôt légal. C'est dire si une telle base et sa mise à disposition de tous sur Internet serait utile !
Qu'en est-il de la place des jeux très spécialisés comme le wargame ou, pour parler d'un sujet qui concerne plus précisément le Grog, le jeu de rôle ?
Lorsqu'on leur pose la question, les intervenants se veulent rassurants tout en admettant que leur portée est plus limitée que les jeux de société grand public. La ludothèque comprend déjà des groupes de rôlistes et possède elle-même un millier d'ouvrages. Preuve que le jdr devrait occuper une place à part, ce nombre d'ouvrages est spécifié dans le dossier de presse séparément du nombre total de jeux (hors jeux de rôle) désormais en possession du centre.
Bruce Whitehill
L'intervention de Bruce Whitehill est assez intéressante pour que l'on s'y attarde, bien qu'elle ne concerne pas directement la ludothèque. En fait, Bruce s'est d'abord lancé dans les antiquités. Ne réalisant aucun bénéfice, il revendit l'intégralité de son stock... mais ne put se résoudre à se séparer des quelques boîtes de jeux qu'il avait acquises. C'est le début d'une grande collection. Deux éléments l'intriguent et le passionnent.
Il y a déjà l'effet madeleine de Proust, le plaisir d'ouvrir une boîte de jeu et d'en (re)découvrir le contenu. D'ailleurs, Bruce l'avoue, certains jeux figurent parmi ses préférés uniquement pour la qualité de leur matériel ou la beauté de l'illustration de la boîte.
Vient ensuite l'intérêt historique et culturel du jeu. Les thèmes abordés, le matériel utilisé, le design sont autant de révélateurs de la culture d'un pays et d'une époque. Pour s'en convaincre, il suffit d'ailleurs d'observer les quelques pièces qui ont été exposées pour l'occasion, et de plonger avec telle vitrine dans les années 50, avec telle autre dans les années 80 (avec une adaptation de la Roue de la Fortune, une autre des Chiffres et des Lettres...). Bruce précise d'ailleurs qu'une petite partie de sa collection a été vendue aux USA, justement en raison de son intérêt limité en dehors de ce pays : par exemple, en ce qui concerne les adaptations de séries télévisées inconnues chez nous.
Enfin, ces jeux présentent aussi un énorme intérêt pour l'histoire du jeu. Ils permettent en effet de retracer les évolutions ludiques au cours du temps, tant sur le plan des mécanismes que du matériel. Si le CNJ arrive à mettre en valeur ces évolutions, le résultat pourrait être tout à fait passionnant !
Vous l'aurez compris : c'est un beau projet qui vient de se concrétiser, même s'il n'est pas encore complètement achevé. C'est aussi un symbole, celui de la place du jeu en France. D'un loisir encore récemment méprisé, il devient progressivement un véritable support culturel reconnu.