Les premiers symptômes de l’infection sont apparus il y a plus de quarante ans, si ma mémoire ne me trahit pas. À cette période de ma jeunesse insouciante, je naviguais d’un jeu à l’autre au gré des opportunités. Je n’avais que quelques rues à traverser pour rejoindre mes compagnons de voyage. Nous parcourions d’un siècle à l’autre le monde entier en l’espace d’un seul week-end. Bien que nos aventures aient été nombreuses, le nom de Cthulhu n’évoquait alors rien d’autre pour moi qu’une infâme et puante créature tapie au fond des abysses, aux charmes de laquelle certains de mes compagnons semblaient avaient succombé. Je n’y ai pas prêté toute l’attention utile à l’époque, et je le regrette aujourd’hui, car ce nom est resté insidieusement enfoui dans mes plus profonds souvenirs malgré les années qui ont passé.
Les exigences de la vie m’ont ensuite rattrapé et m’ont fait oublier une large part de ces bons moments. Plongé dans mon travail exigeant et absorbé par ma vie de famille lors de mes rares moments libres, j’ai perdu de vue tous ceux qui auraient encore pu me mettre en garde : lorsqu’on a entendu son nom, il n’est pas bon d’ouvrir certains livres. Leur lecture semble d’abord raviver les joyeux souvenirs d’un passé révolu, mais elle vous plonge ensuite dans un univers que votre esprit n’est pas préparé à affronter. Par nostalgie et presque compulsivement, j’avais acheté il y a moins d’un an l’un des plus fameux ouvrages de jeu dédiés à cette entité qui m’était peu familière. Mal m’en a pris de l’avoir lu tout entier. Les germes de cette malfaisance étaient enracinés en moi depuis longtemps et cet acte inconsidéré fut suffisant pour qu’ils se développent et me consument en entier à l’instar une tumeur maligne.
Insatisfait des informations que j’avais pu trouver dans ce premier livre maudit, je me suis procuré plusieurs de ses compléments que j’ai avidement dévorés, mais je restais toujours sur ma faim. J’ai écumé les bibliothèques à la recherche d’autres ouvrages similaires, ou du moins de textes qui pourraient apporter un autre éclairage à la souffrance que je ressentais et qui se faisait de plus en plus vive. Je pense en avoir lu des dizaines, admirables pour la plupart, mais sans y trouver le soulagement que j’escomptais. C’est pour cette raison que j’ai décidé à mon tour de livrer mes maigres et modestes conseils en créant YACDHA. Puisse-t-il aider d’autres que moi, qui seraient condamnés à vivre l’horreur telle que je la vis.
Je crains à présent qu’il ne soit trop tard. Aujourd’hui (février 2023), quoi que je fasse, j‘entends son appel et il résonne dans ma tête sans que je puisse lui échapper. Usé par mes lectures et affecté par des changements physiques qui me rendent de moins en moins présentable, je continue à développer mon unique œuvre tant qu’il me reste assez de forces pour le faire. Si d’aventure vous consultez certains forums de discussion, vous pourrez peut-être y croiser ma route. À l’occasion, nous pourrons y échanger quelques mots. Mais il est peu probable que vous m’aperceviez un jour. Mon apparence de plus en plus inquiétante ne m’autorise pas à me joindre à la foule qui peuple les lieux de rencontre et d’échange tels que les conventions. Le dernier portrait que j’ai fait de moi et que j’attache à ce courrier vous convaincra que ce ne serait pas une bonne idée.
Cette bio a été rédigée le 19 août 2022. Dernière mise à jour le 5 février 2023.